Rapport du Protecteur du citoyen 2022-23

daniel
Dernière mise à jour :
22 décembre 2023

« En 2023, les services correctionnels, comme plusieurs services publics, ont été affectés par la pénurie de main d’œuvre [sic]. […] La réinsertion sociale, valeur phare du monde carcéral, et les droits fondamentaux ne peuvent être compromis en raison du manque de personnel. » (Protecteur du citoyen, 2023).

C’est sur ces mots assez sombres que commence la section sur les Services correctionnels du Québec. En tant qu’observateur et ombudsman correctionnel, le Protecteur du citoyen (PdC) reçoit des plaintes des personnes incarcérées dans un établissement de détention du Québec (sentence de moins de deux ans). L’institution traite ensuite ces plaintes et procède à une enquête ou une intervention si un droit fondamental – et prévu par la Loi – est mis à mal (PdC, 2023).

Le Protecteur du citoyen traite, bon an mal an, plus de 4 000 demandes de personnes incarcérées de partout au Québec, des 18 centres de détention du Québec (PdC, 2023). Contrairement à son habituel rapport annuel, on ne mentionne pas les centres de détention ayant été sous la loupe pour la période visée, ce qui est d’avis d’Alter Justice préoccupant.

En effet, d’avoir les données claires et précises sur les centres de détention les plus problématiques permet justement d’identifier les cancres en matière de respect des droits humains et d’intervenir rapidement et spécifiquement. Rappelons qu’Alter Justice intervient auprès des personnes incarcérées – qu’elles soient détenues suite à une sentence que prévenues, en attente d’une sentence – afin de leur donner information et accompagnement dans leur processus de plainte ou de recherche d’informations claires et précises. En sachant exactement quels centres de détention sont problématiques, nous pouvons cibler ces endroits et faire connaitre nos services aux personnes incarcérées par du matériel promotionnel et le bouche-à-oreille.

Surveillance et plaintes

Parmi les motifs d’inquiétude du Protecteur du citoyen, Marc-André Dowd (actuel Protecteur), mentionne le manque chronique de personnel dans les prisons québécoises. Au fait des réalités québécoises au niveau de la pénurie de main-d’œuvre, il appert tout de même que les services correctionnels voient leurs effectifs diminués de 12.6% dû à des postes vacants en plus de 10.8% d’absences prolongées (PdC, 2023). C’est tout de même 23.4% – donc presque un poste du quatre! – qui ne sont pas comblés au 31 mars 2023.

Ce qui est inquiétant dans ce manque de personnel, c’est que les droits des personnes incarcérées s’en retrouvent immanquablement touchés. En effet, le Protecteur dénonce le maintien en cellule pour des périodes de plus de 24 heures, allant jusqu’à 36 heures (PdC, 2023). Les directives du ministère de la Sécurité publique mentionnent qu’une personne incarcérée a droit à au moins une heure, par jour, de sortie à l’extérieur du bâtiment.

Ensuite, dû au manque de personnel, il arrive que des personnes doivent attendre plusieurs semaines avant de recevoir de leurs vêtements (PdC, 2023) et certaines personnes n’ont même pas accès à des vêtements de rechange. Chez AJ, nous avons eu vent de ce genre de situation, mais peu dans la période visée par le rapport annuel 2022-23.

Les visites sont par ailleurs assez souvent annulées, puisque le personnel ne peut procéder aux déplacements des personnes incarcérées et accueillir les visiteurs (PdC, 2023). Les intervenant(e)s d’Alter Justice sont en mesure de confirmer cette information. Nous estimons à 25% de nos demandes d’information pour la même période qui concernaient ce genre de situation.

Quant à l’isolement, rappelons les règles « Nelson Mandela », adoptées en 2015 par l’ONU :

  • L’isolement pendant 22 heures ou plus par jour, sans contact humain réel, doit être appliqué le plus rarement possible, pour la plus courte durée possible, avec l’approbation des autorités compétentes;
  • Il est formellement interdit de recourir à l’isolement cellulaire pour une durée qui n’est pas déterminée à l’avance;
  • L’isolement cellulaire ne peut durer plus de 15 jours consécutifs;
  • Les personnes qui ont un handicap mental ou physique ne peuvent être placées en isolement cellulaire lorsque celui-ci pourrait aggraver leur état.

Le Protecteur du citoyen dénonce que ces règles ne sont pas toujours respectées au Québec et qu’il est urgent de trouver des solutions de rechange pour réduire l’isolement (PdC, 2023). Alter Justice se montre favorable à cette recommandation. Toutefois, nous déplorons le fait que les personnes incarcérées placées en isolement sont aussi souvent (rapporté par ces personnes à l’équipe d’AJ) coupées de toutes communications, et même avec leurs avocat(e)s. Il devient donc difficile aux personnes isolées de prévenir le PdC ou encore AJ.

Le Protecteur mentionne aussi des situations où l’absurde côtoie le réel. En effet, on dénonce dans le Rapport annuel 2022-23 (PdC, 2023) que des personnes incarcérées doivent aller menottées à des rendez-vous médicaux. C’est une mesure standard pour la population carcérale générale et AJ comprend bien cette nécessité. Il est cependant ici question de personne allant aux soins palliatifs (PdC, 2023), donc incapables de s’enfuir ou d’attaquer le personnel correctionnel ou médical. Cette absurdité démontre clairement une rigidité des règles ou l’utilisation aveugle desdites règles.

Ensuite, le Rapport annuel du PdC décrie que le personnel correctionnel doit être volontaire pour intervenir en situation de crise suicidaire (PdC, 2023). Autrement dit, le personnel peut être formé volontaire à la gestion de crise suicidaire et peut décider de ne pas répondre à une urgence suicidaire (PdC, 2023). Il arrive donc que des personnes incarcérées doivent attendre en isolement pendant plusieurs heures, voir jours, avant d’être évaluées (PdC, 2023). Cette situation est complètement inacceptable, selon Alter Justice. Pelletier (2012) mentionne que l’univers carcéral est suicidogène et une évaluation des personnes suspectées d’avoir des idéations suicidaires doit être faite le plus rapidement possible ainsi que des mesures adéquates de prévention du suicide.

Une présence accrue

Finalement, Marc-André Dowd prévoit dans le Rapport annuel que le Protecteur du citoyen visiter, au minimum, chaque centre de détention québécois une fois tous les quatre ans afin de répondre aux objectifs suivants (PdC, 2023) :

  • Exercer une vigie concernant les conditions de détention des personnes incarcérées;
  • Identifier et analyser des problèmes systémiques ou des manquements quant au respect des droits des personnes incarcérées;
  • Faire connaître davantage le rôle du Protecteur du citoyen.

Alter Justice applaudit cette initiative de visiter régulièrement les centres de détention du Québec. Toutefois, une visite minimalement aux quatre ans est largement insuffisant, puisque les réalités changent continuellement. Une visite de chaque prison devrait se faire à l’improviste et au moins une fois par 18 mois. Nous croyons aussi que le PdC devrait appuyer officiellement les initiatives et organismes comme Alter Justice, par un soutien réel et financier, afin d’être la courroie de transmission des plaintes des personnes incarcérées. Ainsi, les situations problématiques pourraient rapidement être mises en lumière et le travail d’évaluation de la situation serait déjà fait.

Conclusion

Une année passe et les mêmes constats ressortent, encore et encore. Le Protecteur du Citoyen a beau être l’ombudsman correctionnel du Québec, son pouvoir est somme toute limité. Alter Justice applaudit les dénonciations du PdC et ses recommandations pertinentes. Ce qui est décevant, c’est le manque de volonté des gouvernements successifs à donner de réels pouvoirs d’action au Protecteur. Alter Justice continuera de surveiller les prisons québécoises, à soutenir le PdC dans ses actions et à le surveiller, afin qu’il remplisse bien la mission qui lui est confiée.

RÉFÉRENCES

Protecteur du citoyen (2023), Rapport annuel 2022-2023, section Services correctionnels, repéré à https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/enquetes/rapports-annuels/2022-2023

Protecteur du citoyen (2023), Rapport annuel 2022-2023, section Services correctionnels, repéré à https://console.vpaper.ca/protecteur-du-citoyen/rapport_annuel_2023/page/48/#48/

Protecteur du citoyen (2023), Rôles et mandats, repéré à https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/a-propos/roles-et-mandats

Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (2015) Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, repéré à https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/GA-RESOLUTION/F-book.pdf

PELLETIER Caroline (2012), Université Laval, De la prévention à la postvention : Étude exploratoire sur les suicides survenus entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 dans les prisons provinciales du Québec

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