La Commission canadienne des droits de la personne dénonce les abus

Direction
Dernière mise à jour :
9 juillet 2021

Par Isabelle Landry

En décembre 2003 est paru le rapport[1] de la Commission canadienne des droits de la personne. Ce rapport vise à déterminer dans quelle mesure les services correctionnels fédéraux ont atteint le but de fournir des services adaptés à la situation de toutes les femmes purgeant une peine de ressort fédéral, tant en matière de garde, de surveillance et de réadaptation que de réinsertion sociale.  C’est avec regret que nous devons vous annoncer que beaucoup de chemin reste à faire encore.  Pire, le rapport dévoile que « le système carcéral canadien est systématiquement discriminatoire envers les femmes : leurs conditions de détention sont nettement plus difficiles que celles des hommes »[2].

Le classement

Un des premiers problèmes qui demeure est le système de classification des détenues. Tous les nouveaux arrivés au pénitencier (hommes ou femmes) doivent être évalués afin de cerner les facteurs qui ont poussé la personne à commettre un crime.  Cette évaluation déterminera tout d’abord le niveau et le type d’intervention nécessaire pour assurer la réinsertion sociale du ou de la délinquante, ainsi que le niveau de sécurité (faible, moyen ou élevé).

Le problème dénoncé par le rapport est que la même évaluation est utilisée pour les hommes que pour les femmes. Or, ces dernières commettent des crimes pour des raisons fort différentes de celles des hommes. Il s’ensuit donc que plusieurs se retrouvent mal classées et par le fait même elles se voient offrir des programmes inadaptés à leur situation personnelle. Cette mauvaise évaluation a donc pour conséquence que l’incarcération n’atteint pas l’objectif de réhabilitation, ceci favorisant la récidive et donc des coûts sociaux.

Une étude a démontré que les femmes détenues dans les pénitenciers représentent souvent un risque moins élevé que les hommes au point de vue de la sécurité. Pourtant, on continue de les classer en se basant sur le même test!

Finalement, les détenues classées en sécurité minimale et moyenne sont incarcérées dans des conditions pratiquement identiques. Le mode d’incarcération « le moins restrictif » n’est donc pas imposé à toutes comme il se doit.  D’ailleurs, depuis le 23 février 2001, tous les délinquants soumis à une peine à perpétuité sont automatiquement classés au niveau sécuritaire pour les deux premières années de leur incarcération. Mais puisque les crimes des femmes sont généralement « moins violents et moins prémédités », ceci soulève un doute sur la nécessité de cette mesure puisqu’elles représentent un moins grand risque pour la sécurité publique.

Les établissements à niveaux de sécurité mixte causent aussi plusieurs problèmes aux détenues. Plusieurs femmes classées en sécurité minimale ou moyenne ont avoué craindre leurs codétenues de sécurité maximale. Il faut comprendre que ces détenues, bien que logées dans des ailes séparées, partagent les mêmes lieux publics comme les gymnases. Pour les détenues à sécurité maximale, les déplacements sont beaucoup plus encadrés lorsqu’elles partagent les lieux avec des détenues de niveau de sécurité inférieure. En effet, elles doivent constamment être escortées et souvent se voir imposer de porter du matériel de contention (menottes, ceinture de force, entraves). Un tel problème ne surviendrait pas s’il existait un établissement différent pour chaque niveau de sécurité comme c’est le cas chez les hommes.

Des conséquences sociales plus difficiles pour les femmes

La Commission révèle que les préjudices auxquels font face les personnes incarcérées varient ici encore selon le sexe. Par exemple, les femmes sont plus susceptibles de perdre la garde de leur enfant ou d’être abandonnées par leur conjoint. Il est aussi démontré que la condamnation sociale et la honte peuvent rendre plus difficile la réinsertion sociale pour les femmes que pour les hommes. 

Les femmes sont aussi plus sujettes à la dépression, aux comportements autodestructeurs ou aux tentatives de suicide lorsqu’elles sont incarcérées.  On recommande donc une amélioration des services en santé mentale offerts dans les pénitenciers, notamment au niveau de la confidentialité et de l’accès. Le nombre de consultations offert ne répond tout simplement pas aux besoins.

Harcèlement

Un autre majeur problème soulevé par le rapport est le harcèlement que subissent les femmes détenues de la part des agents.  Pour ne donner que cet exemple, les fouilles effectuées en présence d’agents de sexe masculin peuvent être très traumatisantes pour celles qui ont vécu des agressions dans le passé.  La Commission cite également dans son rapport « qu’un gardien aurait donné [à une détenue] des permissions de sortie en échange de faveurs sexuelles  [et] que des gardiens observaient [une détenue] lorsqu’elle prenait sa douche ou lorsqu’elle s’habillait »[3].

Afin de mettre fin au problème, diverses solutions sont proposées. Premièrement, l’exclusion des hommes aux postes de première ligne peut être envisagée, mais il semble les femmes détenues ne le souhaitent pas. Selon elles, avoir un modèle masculin non violent peut les aider dans leur cheminement vers la réhabilitation.  La formation, l’amélioration du processus de sélection du personnel ainsi que la prévention auprès des détenues afin de les informer de leurs droits et recours seraient aussi des solutions envisageables selon la Commission.  N’est-ce pas là un des objectifs avancés depuis des années par l’organisme ?

Les programmes

Le rapport reprend le problème déjà soulevé par plusieurs études : les programmes ne sont pas offerts dans tous les établissements et lorsqu’ils le sont, la liste d’attente est souvent interminable.  Si beaucoup de chemin semble fait dans le cas des thérapies pour les toxicomanes, ce n’est pas le cas pour les programmes d’emploi et d’acquisition d’aptitudes à l’emploi.  Les femmes ressortent après avoir purgé leur peine sans être mieux outillées pour se réinsérer dans la société.  À cette lacune, la Commission suggère de privilégier les emplois dans la collectivité puisque les femmes représentent un moins grand risque pour la communauté et d’aider celles-ci à se loger convenablement à leur sortie du pénitencier afin qu’elles puissent vivre convenablement avec leurs enfants.

Le rapport fait également état d’autres problèmes qui touchent autant les femmes que les hommes, tels la transmission du VIH lié à la consommation de drogues injectables ainsi que le problème relié à l’isolement souvent jugé abusif. Fait intéressant en terminant, le rapport propose que le Bureau de l’enquêteur correctionnel établisse un plan de vérification plus régulier et qu’il ait le pouvoir de faire respecter ses recommandations comme cela se fait dans d’autres pays comme l’Angleterre et le pays de Galles.

Pour nous, au GDDDQ, nous croyons fortement que pour assurer la réinsertion sociale des femmes détenues, il est d’abord essentiel de prendre en considération leurs différences afin de leur offrir des services et des programmes adaptés à leurs besoins spécifiques.  De grands pas ont été faits depuis la fermeture du pénitencier de Kingston, mais il ne faut pas s’arrêter là.  Nous surveillerons évidemment de près quelles seront les suites que donnera à ce rapport la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au niveau fédéral, madame Anne McLellan.  Ne serait-il pas grand temps d’apporter des améliorations aux problèmes qui sont soulevés depuis tant d’années ?  Nous avons eu assez de recommandations.  C’est maintenant le temps de passer à l’action.

Article paru dans Le Bulletin, mars 2004.

Sources :

[1] Commission canadienne des droits de la personne.  Protégeons leurs droits: Examen systémique des droits de la personne dans les services correctionnels destinés aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Décembre 2003. Pour consulter le rapport complet

[2] LEDUC, Louise.  « Les détenues canadiennes seraient systématiquement victimes de discrimination » dans, La Presse, Montréal, 29 janvier 2003.

[3] Ibid.

Commission nationale des libérations conditionnelle, Gouvernement du Canada. Historique de la libération conditionnelle au Canada. Consulté sur : http://www.npb-cnlc.gc.ca/about/parolehistory_f.htm , le 18 mars 2005.

Photo : Charlie Dave (Flickr).

Mise en ligne : mars 2004 © Alter Justice

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