Modification de la norme de preuve en matière disciplinaire provinciale
Direction AJ
Dernière mise à jour :
30 avril 2025

Crédit image : Martel Savard et Associés
Par Me Bianka Savard-Lafrenière
Membre du Barreau depuis février 2016, Me Savard exerce en droit carcéral dès ses débuts au sein du cabinet Martel Savard et Associés.
Diplômée de la faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal en 2014 et détentrice d’un certificat en criminologique de l’Université de Montréal depuis 2022, Me Savard est aussi co-autrice du livre Droit carcéral et gestion des peines.
Elle fait du bénévolat auprès d’Alter Justice depuis quelques années.
Le 14 mars dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision qui allait changer drastiquement les manières de faire dans les établissements de détention provinciale.
Dans le processus disciplinaire provincial, la norme de preuve que devait remplir le comité de discipline avant de reconnaitre une personne incarcérée responsable d’un manquement était celle de la prépondérance de preuve. Cela voulait dire qu’il fallait qu’il soit plus probable qu’improbable que la personne ait commis l’infraction reprochée. Ainsi, si le comité était d’avis que la personne avait probablement commis le manquement, elle devait être reconnue responsable. Par la suite, elle recevait une sanction, qui pouvait aller jusqu’à du confinement (23h/24 dans sa cellule dans son secteur de vie), de la réclusion (communément appelé le trou) ou de la perte de remise de peine méritée (repousser la date de libération probable, soit le 2/3 de la sentence).
Cette norme de preuve contrastait beaucoup avec celle du hors de tout doute raisonnable applicable dans un procès criminel ou dans le processus disciplinaire fédéral. Cette norme de preuve est beaucoup plus difficile à remplir, puisqu’il faut que le décideur soit convaincu que le crime ou le manquement a été commis, et non pas seulement qu’il soit probable que ce soit le cas. Ce fardeau de preuve s’approche de la certitude. En résumé, il y avait un fardeau de preuve plus élevé à remplir au niveau fédéral, alors que les conséquences sont moindres, puisque l’isolement et qu’il n’existe pas de perte de remise de peine méritée.
La John Howard Society (JHS) de la Saskatchewan avait entrepris des procédures afin de faire déclarer inopérant l’article du règlement qui établissait le fardeau de preuve dans le processus disciplinaire provincial. Alors qu’elle avait essuyé des refus tant en première instance qu’en appel, JHS a demandé à la Cour suprême du Canada de se pencher sur la question.
Après son analyse, le plus haut tribunal du pays statuait que certaines sanctions disciplinaires, dont l’isolement et la perte de remise de peine méritée, constituaient une forme d’emprisonnement car elles affectaient grandement la liberté résiduelle des personnes incarcérées. Elle a donc déclaré inopérant l’article du Règlement, puisque de sanctionner une personne à une forme d’emprisonnement, alors que la norme de preuve peut laisser planer un énorme doute, porte atteinte à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne. Ainsi, la Cour reconnait que la norme applicable en matière de discipline provinciale est celle du hors de tout doute raisonnable.
Comme l’article du Règlement a été déclaré inopérant immédiatement, du jour au lendemain, les Services correctionnels devaient modifier leurs manières de procéder. Au Québec, les comités de discipline ont été suspendus pendant quelque jours afin que le ministère de la Sécurité publique évalue la situation. En effet, bien que ce soit en Saskatchewan que le fardeau ait été invalidé, le fait de maintenir la norme de la prépondérance de preuve au Québec allait quand même à l’encontre de la décision de la Cour suprême.
Des nouvelles indications ont été transmises à tous les établissements de détention. Dorénavant, ce sera la norme du hors de tout doute raisonnable qui s’appliquera. Les indications transmettent de l’information sur la norme de preuve applicable, mais il est clair qu’une meilleure formation des différents intervenants au processus disciplinaire serait de mise. Après tout, c’est un virage drastique alors qu’ils appliquaient une procédure totalement différente depuis de nombreuses années.
Cette nouvelle norme de preuve pourrait aussi entraîner des conséquences positives au niveau fédéral pour les personnes prévenues. En effet, lorsqu’une personne est incarcérée au niveau provincial pendant les procédures judiciaires écope d’une peine fédérale, son comportement carcéral est pris en compte. Lorsque l’agent de libération conditionnelle procède à l’évaluation initiale, la fiche disciplinaire aura un impact sur la cote de sécurité. Avec un fardeau de preuve maintenant plus élevé, on peut s’attendre à un nombre plus élevé d’acquittement ou à des sanctions disciplinaires moindres. Bien évidemment, les effets prendront du temps à se manifester.
Références
SAVARD-LAFRENIÈRE, Bianka (2025), Modification de la norme de preuve en matière disciplinaire provinciale, Bulletin AJ numéro 9 volume 1, pour en savoir plus sur son travail : https://www.martelavocat.ca/
BENSIMON, Philippe; MARTEL, Mélanie; SAVARD, Bianka (2022), Droit carcéral et gestion des peines, pour en savoir plus sur le livre : https://www.librairiewilsonlafleur.com/produit/droit-carceral-gestion-peines-wilson-lafleur/
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