Santé mentale et incarcération
Direction
Dernière mise à jour :
9 juillet 2021
Par Mélanie Martel, avocate.
« Même si les prisons n’ont pas les ressources pour traiter les problèmes de santé mentale, elles servent d’hôpitaux par défaut à bien des malades ». [1]
Stéphane (nom fictif) âgé de 35 ans, souffre de schizophrénie et de troubles bipolaires. Récemment, il a reçu une sentence de six mois d’emprisonnement pour des délits à caractères sexuels. Il a plusieurs antécédents judiciaires en semblable matière. Il répond cependant très bien à l’encadrement judiciaire, jamais il n’a brisé les conditions qui lui étaient imposées par le tribunal. Dans la société, il a un suivi avec un psychiatre, son médecin de famille et un éducateur spécialisé. Il ne manque aucun rendez-vous et est assidu dans la prise de ses médicaments.
« En centre de détention, le dépistage des troubles de santé mentale, les fréquents transferts de personnes incarcérées, l’accès déficient à la médication et la fragmentation des services et des soins en milieu carcéral posent des difficultés encore insurmontées […] ». [2]
Lors de son passage à la Cour, il a reçu une clémente sentence de six mois puisque le tribunal a considéré sa problématique de santé mentale. Depuis le début de son incarcération, il n’a plus ses suivis psychiatriques et se retrouve dans le secteur de l’infirmerie. Il est vulnérable et ne peut donc pas être jumelé avec le reste de la population carcérale. Il est isolé et n’a accès à aucun programme dans la prison.
« Les caractéristiques des personnes incarcérées les amènent vers des comportements criminels et les éloignent des soins psychiatriques dont elles auraient besoin », affirme Dr Dumais. « Un délinquant, on le punit, mais quand il est aussi malade, il faut le soigner! » [3]
L’audience devant la Commission québécoise des libérations conditionnelles est perdue d’avance. Il s’agit de délits à caractères sexuels, d’une récidive rapide et il n’existe pas de thérapie en délinquance sexuelle fermée qui serait prête à l’accueillir. Il n’y a rien dans son dossier qui diminuerait le risque de récidive pour qu’il soit assumable pour la société. Il désire faire son audience tout de même puisqu’il affirme avoir besoin d’aide, l’aide qu’il avait à l’extérieur.
En audience, il nous fait comprendre sa détresse, son sentiment d’abandon, sa problématique ainsi que ses besoins. Bien que la Commission reconnaisse sa transparence dans ses propos, sa problématique de santé mentale, le respect de ses conditions par le passé, on lui refuse sa libération puisque son projet de sortie est peu structuré.
Stéphane nous répète qu’il a peur d’être seul avec sa problématique à sa libération d’office (deux tiers de sa sentence). Lorsqu’il retournera dans la communauté, il n’aura rien appris, mis à part l’isolement, le rejet et l’abandon. Maintenant, il doit réintégrer la société alors qu’il est habité par ce sentiment de révolte, de solitude. Il a régressé.
« Absence de diagnostic, accès déficient aux médicaments, personnel carcéral mal formé et isolement qui aggrave les problèmes. » [4]
Ce partage d’informations reflète en partie la réalité du milieu carcéral pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Il est important de souligner que plus souvent qu’autrement, les personnes atteintes de problème de santé mentale souffrent aussi de problèmes de dépendances aux drogues et/ou alcool [5], ce qui complexifie leurs besoins et ils doivent recevoir un soutien supplémentaire qui n’est pas disponible en ce moment.
Sources :
1. PORTER, Isabelle. « Santé mentale et prison: un mélange explosif », dans Le Devoir,10 janvier 2009, disponible en ligne
2. Allocution de la protectrice du citoyen à l’occasion des Journées annuelles de santé mentale 2015, Montréal, mai 2015, à la p.23.
3. Actes criminels et troubles mentaux graves: Prison ou institution psychiatrique?, disponible en ligne
4. JOURNET, Paul. « Santé mentale en prison: la Protectrice du citoyen sonne l’alarme », dans La Presse, 11 mai 2011, disponible en ligne
5. Enquêteur correctionnel du Canada. Santé mentale et système correctionnel, 2011. disponible en ligne
Incarcération et santé mentale
Les constats du Protecteur du citoyen
Le rapport du Protecteur du citoyen sur les services publics aux personnes incarcérées qui éprouvent un problème de santé mentale a été déposé en mai 2011 à l’Assemblée nationale. Mettant en évidence le fait qu’au Québec, l’organisation des services en santé mentale s’est faite sans tenir compte des spécificités du milieu carcéral, le rapport constate des lacunes majeures dans l’accessibilité et la continuité des services de santé et des services sociaux aux personnes incarcérées éprouvant des problèmes de santé mentale.
Selon la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, « on aurait tort de ne pas considérer l’impact très positif d’une réinsertion sociale réussie sur la diminution de la récidive qui engendre en soi des coûts financiers, humains et sociaux considérables. Assurer aux personnes incarcérées qui éprouvent des problèmes de santé mentale des services requis par leur condition, c’est à la fois favoriser leur mieux-être et contribuer à bâtir durablement le sentiment collectif de sécurité de leurs proches et de la société en général. ».
Différentes lacunes ont été constatées pendant la période d’incarcération de personnes éprouvant des problèmes de santé mentale :
- À l’admission, aucun dépistage systématique des problèmes de santé mentale n’est effectué, sauf pour l’évaluation du risque suicidaire. N’étant pas dépistées, les personnes ont peu de chances de recevoir un diagnostic médical et les services conséquents requis.
- La prise de la médication prescrite est souvent compromise durant les 48 heures suivant l’admission au centre de détention. Cela peut créer une déstabilisation qui, liée au changement radical de milieu qu’implique l’incarcération, peut avoir des conséquences graves liées au sevrage.
- Le grand nombre de transferts d’un centre de détention à l’autre et les lacunes dans l’échange d’information qui peuvent en découler sont susceptibles d’affecter de façon particulière les personnes éprouvant un problème de santé mentale, notamment en ce qui concerne la prise régulière de la médication prescrite et la stabilisation de leur état.
- En 2006-2007, seulement le quart des centres de détention pouvaient compter sur la présence 24 heures sur 24 de personnel soignant pour assister et conseiller les employés des services correctionnels lors des situations de crise.
- L’accès à la consultation médicale en psychiatrie de même qu’à certains services, notamment en matière de réadaptation et de suivi psychosocial, est déficient.
- Les règles entourant la confidentialité dans le partage de l’information de nature médicale entre l’équipe soignante et l’équipe correctionnelle sont floues.
- Les représentants légaux, incluant le Curateur public, ne sont pas toujours avisés en temps opportun de situations qui requièrent leur intervention.
Des problèmes toujours présents
Malgré les recommandations formulées par le Protecteur du citoyen en 2011, force est d’admettre que la situation ne s’est guère améliorée. Dans son dernier rapport annuel parru en septembre 2015, le Protecteur du citoyen dénonce à nouveau ces problématiques et la lenteur du ministère de la Sécurité publique à mettre en oeuvre les solutions proposées.
« Les personnes incarcérées qui souffrent de problèmes de santé mentale ne reçoivent pas les soins que requiert leur état. Le protecteur du citoyen a maintes fois dénoncé d’importantes lacunes à cet égard, notamment dans son rapport sur la question paru en 2011 et intitulé Pour des services mieux adaptés aux personnes incarcérées qui éprouvent un problème de santé mentale »
– Protecteur du citoyen. Rapport annuel d’activités 2014-2015, Québec, 2015, p.74.
Sources :
Protecteur du citoyen. Rapport du Protecteur du citoyen pour des services mieux adaptés aux personnes incarcérées qui éprouvent un problème de santé mentale », Québec, 2011
Pour consulter le rapport spécial du Protecteur du citoyen >>>
Protecteur du citoyen. Rapport annuel d’activités 2014-2015, Québec, 2015.
Pour consulter le rapport 2014-2015 du Protecteur du citoyen >>>
Photo : Stockvault
Mise en ligne : octobre 2015 © Alter Justice
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