Surreprésentation des autochtones en incarcération

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Dernière mise à jour :
9 juillet 2021

Par Edith Auclair-Fournier

En 2012, le Canada comptait plus de 15 000 personnes incarcérées. (AFP, 2012) De ce nombre, 18,5 % des détenus sous responsabilité fédérale étaient d’origine autochtone, bien que ceux-ci ne représentent que 3 % de la population totale du Canada (Henry, 2012).  Proportionnellement, les autochtones canadiens sont donc six fois plus incarcérés que les non-autochtones. Les membres des Premières Nations ont également plus de chances de purger leur peine dans un établissement de détention plutôt que dans la collectivité et ont moins de chances de bénéficier d’une libération conditionnelle que les contrevenants non-Autochtones (Association canadienne de justice pénale). Comment expliquer cette surreprésentation marquée des autochtones dans le milieu carcéral canadien?

D’abord, la relation entre les autochtones et les Européens a été historiquement très inégalitaire. Ces derniers ont largement ignoré les droits des premiers, se sont s’approprié leurs terres, leur ont imposé un mode de vie et un régime politique complètement opposé à leurs traditions et ont tenté de les déposséder de leur culture, par de multiples politiques assimilationnistes.

Le paroxysme des tentatives d’assimilation des autochtones a sans doute été atteint pendant le Régime des pensionnats, qui débuta dans les années 1830 et continua aussi tard qu’en 1996 (Fondation autochtone de l’espoir). Ce régime avait pour but de couper les jeunes autochtones de leurs familles et de leurs communautés afin de les assimiler complètement. On les empêchait de pratiquer leur spiritualité, de parler leur langue maternelle ou d’adopter tout comportement se rapportant à leur culture d’origine. En plus des violences physiques, psychologiques et sexuelles qu’ont subit les enfants autochtones dans ces pensionnats, la plus grande violence de ce régime est qu’il représentait une attaque directe à la culture et aux traditions autochtones en privant les jeunes de leur identité culturelle.

Aujourd’hui, même si certaines mesures ont été mises en place pour compenser les injustices du passé, le Statut d’Indien place toujours les Autochtones dans une position de dépendance face au gouvernement fédéral et ne leur reconnait pas le droit de jouir pleinement de tous les droits d’une personne majeure. C’est dans ce rapport d’inégalité, présent depuis le commencement de l’histoire du Canada, que la réalité des Autochtones a été complètement bouleversée depuis la colonisation, conduisant à la perte des mécanismes sociaux existants, à des conflits générationnels, à une transformation des rôles sociaux et à une dépendance croissante à l’État (Jaccoud, 1999).

Pour poursuivre, la criminalité peut être reliée à différents facteurs de risques, appelés facteurs de risque criminogènes, qui peuvent toucher l’individu tant sur le plan individuel, familial que sociétal (Sécurité publique Québec, 2014). Pour en nommer quelques-uns, on retrouve parmi ces facteurs la faible scolarisation (ibid), les problématiques d’alcoolisme et de toxicomanie (ibid), la précarité économique (Laforest et al, 2007), la victimisation antérieure (Sécurité publique Québec), etc. Selon Mylène Jaccoud (1999), les bouleversements engendrés par la colonisation et les politiques de l’État au sein des communautés autochtones ont eu pour effet d’engendrer de nouveaux problèmes sociaux. L’auteure parle même d’une pénalisation des problèmes sociaux :

[…] la criminalité des Autochtones est ancrée dans l’histoire d’une marginalisation politique, socioéconomique et culturelle des Premiers peuples qui mine les capacités autorégulatrices des collectivités et des individus. Tant et si bien que les individus sont aux prises avec des difficultés et des souffrances personnelles (santé mentale, dépendances, victimisations) qui facilitent l’expression de relations conflictuelles, abusives et souvent violentes captées par les services policiers et dont les chances de rétention dans le système pénal sont maximales (Jaccoud, 2012)

Les membres des Premières Nations sont exposés à plusieurs problématiques psychosociales et socioéconomiques qui sont associées à la criminalité. Cette dernière apparaît comme une expression de l’exclusion sociale et est fortement liée au désavantage économique. Dans ce contexte, les problèmes de criminalité au sein des communautés autochtones peuvent être associés à la violence structurelle dont ils sont victimes, engendrée par l’État et que ce dernier contribue à perpétuer plutôt que d’y apporter des solutions.

Enfin, le système de justice pénale canadien a été imposé aux autochtones et ne prend pas en compte leurs valeurs, croyances et traditions (Commission de réforme du droit du Canada). La tradition juridique étant un phénomène largement relié à la culture, celui dont s’étaient dotés les Amérindiens avant le Contact était représentatif de leurs valeurs et de leurs croyances. Bien que leur cadre juridique était aussi développé que celui des Européens, il était jeté sur des bases complètement différentes, en accord avec la culture et les valeurs autochtones. On retrouvait une large diversité selon les nations, chaque système étant représentatif de leur culture propre. Toutefois, de façon générale, on retrouvait certains éléments récurrents entre les nations. Au contraire des traditions juridiques Européenne, celles des autochtones étaient, en général, caractérisées par la flexibilité et le respect et axées sur la réparation et le consensus. Elles étaient liées à la Terre-Mère, au Créateur ainsi qu’à la collectivité. Les lois n’étaient pas normatives, accusatoires, ni punitives (Commission du droit du Canada, 2006). L’objectif était de faire évoluer la personne, qu’elle apprenne de ses erreurs et non de la punir absolument.

Les autochtones, lorsqu’ils font face au système de justice canadien, doivent composer avec les valeurs véhiculées par ce système, qui sont en général fort différentes des leurs. Dans son article « Justice and Aboriginal People », James Dumont démontre l’opposition entre certaines valeurs autochtones et non autochtones. Par exemple, chez les autochtones, il est important de trouver le consensus au sein d’un groupe, la collectivité est valorisée; tandis que la pensée occidentale est plus individualiste. Chez les Autochtones, le moment présent prend beaucoup d’importance, tandis que les non-Autochtones sont souvent axés vers l’avenir. Ces valeurs plus souples, plus collectives et moins pragmatiques des Autochtones se heurtent au système de justice officiel au Canada. D’après l’Association canadienne de justice pénale, certaines valeurs autochtones qui transparaissant dans leur manière d’être peuvent leur causer des problèmes face au système de justice :

Dans bien des collectivités autochtones, il est très mal vu d’exprimer des émotions comme la colère, la détresse ou la tristesse. […] les témoins autochtones racontaient souvent des événements tragiques d’une façon impassible. Cette attitude risque souvent d’être mal interprétée par la cour et par les psychiatres chargés de préparer des évaluations psychiatriques des délinquants. Comme le souligne Ross, beaucoup d’évaluations indiquent que les délinquants autochtones « ne manifestent pas d’émotions », « sont peu communicatifs » et « sont peu coopératifs »

Dans le système officiel, la fonction de la Justice est d’« assurer le respect des lois, châtier les comportements déviants et protéger la société », tandis que dans la justice traditionnelle autochtone, elle est plutôt vue comme un moyen d’« aider le délinquant à faire la paix avec lui-même[, de r] établir la paix et l’harmonie dans la collectivité [et de r]éconcilier le délinquant, sa victime et sa famille. L’objectif premier n’est pas de châtier. » (Association canadienne de justice pénale). Le concept européen de culpabilité et de non-culpabilité n’est pas utilisé dans la justice traditionnelle autochtone. Aussi, dans cette tradition, il est considéré comme malhonnête de plaider non-coupable alors que c’est faux, c’est pourquoi de nombreux autochtones plaident coupable en cour et ont donc plus de chance d’être condamnés (Association canadienne de justice pénale). La tradition autochtone veut que l’individu assume les conséquences de ses actes, tandis que dans le système officiel, les coupables cherchent à diminuer leur peine autant que possible.

Sources :

AFPQC, « La population carcérale a atteint un record au Canada en 2012 », Huffington Post, [en ligne], http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/08/27/canada-prisons-record_n_1834164.html 

Association canadienne de justice pénale « Les autochtones et le système de justice pénale » [en ligne] http://www.ccja-acjp.ca/fr/autoch6.html  (page consultée le 26 janvier 2014)
Commission de réforme du droit du Canada, « Rapport sur les peuples autochtones et la justice pénale » [en ligne] http://www.lareau-legal.ca/LRCReport34French.pdf

HENRY, David. Les autochtones et le système de justice pénale, Revue de l’association des services de réhabilitation sociale du Québec, , vol XXV, no.1 2012, [en ligne] http://www.asrsq.ca/fr/pdf/po/por_1202.pdf 

JACCOUD. « Les cercles de guérison et les cercles de sentence autochtones au Canada », Criminologie, vol. 32, n° 1, 1999, p. 7-105, [en ligne] http://www.erudit.org/revue/crimino/1999/v32/n1/004725ar.pdf 

LAFOREST et coll. « Indicateurs de vulnérabilité associés à la sécurité d’un territoire », Institut national de santé publique Québec, [en ligne], http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/721_indicateurs_final_crpspc.pdf 

Sécurité publique Québec, 2014. « Annexe 1- Facteurs de risque et de protection ayant une influence sur l’adhésion aux gangs de rue », dans Programme de financement issu du partage des produits de la criminalité. [en ligne], http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/5127.html

Photo : Pixabay.com

Mise en ligne : juillet 2015 © Alter Justice

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