Unité 9 – Être mère en prison

daniel
Dernière mise à jour :
21 juillet 2021

Avec la collaboration de Relais Famille

Si le fait d’être en prison place déjà l’individu, peu importe son sexe, en marge de la société, le fait d’être une femme détenue double la stigmatisation.  La femme incarcérée brise l’image de non-violence et de vulnérabilité qui émane de la féminité dans l’imaginaire collectif.  Être mère en prison, c’est se faire triplement stigmatiser en venant ébranler l’image de la mère réconfortante qui attend ses enfants au retour de l’école avec des biscuits faits maison et un bon chocolat chaud.

Pourtant, la réalité est telle que deux tiers des femmes incarcérées sont mères et désirent conserver un lien significatif avec leurs enfants.  Dans ce contexte, quelles solutions s’offrent à ses femmes qui veulent être présentes dans la vie de leur progéniture ?

La situation des femmes

Comme mentionné dans l’article de Joliette à Lietteville, l’approche en matière d’incarcération des femmes a grandement évolué dans les années 1990 par la mise en place d’établissements correctionnels différents de la prison traditionnelle.  Cette nouvelle approche vise non seulement à favoriser la réinsertion sociale des femmes contrevenantes, mais aussi à « les soutenir dans leurs responsabilités envers leurs enfants et les autres membres de la famille ».  (SCC, 1990, p. 144, cité dans BLANCHARD, 2002, p.93)

Cette philosophie est loin d’être unique.  « Lorsqu’on examine ce qui se fait à l’extérieur du Canada, on constate qu’en Europe et aux États-Unis, une panoplie de programmes et de services se sont développés depuis plusieurs décennies afin de favoriser et/ou restaurer les relations mères-enfants. » (BLANCHARD, 2002, p.93)

L’incarcération

Il va sans dire que l’incarcération marque une rupture importante au niveau des relations mères-enfants, bien que ce ne soit pas toujours le seul facteur de cette rupture, certains enfants vivant déjà séparés de leurs mères.  L’étude de Brigitte Blanchard a démontré que suite à l’incarcération, une majorité des enfants étaient hébergés par un membre de la famille : 23,9% par leur père, 21,9% par les grands-parents et 13,5% par un oncle ou une tante.  Dans environ le tiers des cas, les enfants étaient placés dans une famille d’accueil via la DPJ.  (BLANCHARD, 2002, p. 105)

Maintenir les contacts

Divers moyens permettent aux mères de maintenir des contacts avec leurs enfants.  L’étude de Brigitte Blanchard a démontré que « parmi les services institutionnels les plus utilisés par les femmes de notre échantillon pour maintenir le lien avec leur(s) enfant(s), on remarque que les échanges téléphoniques (42,6 %) et épistolaires (25,4 %) sont le plus souvent cités.  Quant aux programmes de visites en milieu carcéral (tous types confondus), il est surprenant de constater qu’ils représentent seulement le quart (24,6 %) de l’ensemble des services utilisés par ces mères.  De plus, on constate que près de 15 % des enfants n’entretiennent aucun contact avec leur mère durant son incarcération » (BLANCHARD, 2002, p. 106).

Il va sans dire que les conditions des visites en milieu carcéral sont souvent énoncées comme étant un frein aux visites des enfants.  Des recherches menées par des étudiants en sociologie de l’Université Laval pour le compte d’Alter Justice ont fait ressortir que plusieurs personnes incarcérées veulent éviter les visites sécuritaires avec les jeunes enfants.  Plusieurs ont également déploré le manque d’intimité de ces visites et leur durée souvent écourtées par des mesures de sécurité.

Le programme mère-enfant du Service correctionnel Canada (CSC)

À la suite d’un groupe d’études tenues en 1990, le CSC a décidé de mettre sur pied un programme mère-enfant qui permet de répondre aux besoins des femmes détenues en établissement fédéral et de leurs enfants.  Ce programme propose quatre volets distincts et a été mis en place depuis 1998.

1. L’enfant séjourne à temps plein avec sa mère dans une unité particulière de l’établissement.  L’âge maximal de l’enfant, à l’établissement de Joliette [1], est habituellement de 4 ans.  Par la suite, d’autres types de cohabitation temporaire sont possibles selon diverses conditions.

2. L’enfant effectue des séjours à temps partiel ou occasionnel dans l’établissement (fins de semaine et jours de congé).

3. L’enfant visite sa mère dans le cadre des visites publiques et du programme de visites familiales privées de l’établissement.

4. Les échanges de visites à l’établissement et à l’extérieur dans le voisinage sont permis entre la mère et l’enfant (lorsque l’enfant réside dans un foyer d’accueil ou une maison de placement). [2]

Chaque volet exige que la mère et l’enfant satisfassent certains critères d’admissibilité pour avoir droit de participer au programme.  Dans ces critères on retrouve, entre autres, un certain degré de responsabilité parentale pour la mère, l’évaluation de la santé physique et mentale de la mère et de l’enfant, le consentement des autorités judiciaires ou de protection pour l’enfant et bien d’autres.  Les critères sont évidemment plus sévères pour un séjour à temps plein que pour des visites ponctuelles et de courtes durées.

Pour les détenues provinciales

La situation est bien différente au niveau provincial.  Il existe deux prisons pour femmes au Québec : la maison Tanguay, à Montréal, à l’Établissement de détention de Québec-Secteur Féminin.

Au palier provincial, la prison Tanguay, à Montréal, œuvre en partenariat avec l’organisme Continuité-Famille auprès des détenues (CFAD).  Cet organisme travaille au maintien du lien entre la mère et l’enfant via toutes sortes d’activités et de services.

Entre autres, le CFAD organise les séjours des mères et de leurs enfants en roulottes durant la détention et tente de faciliter la réinsertion sociale par le biais de rencontres dans les maisons de transition.  Une fois les mères de retour à leur domicile, l’organisme propose des activités familiales et des visites à domicile pour permettre une continuité harmonieuse dans le lien mère-enfant.  Le CFAD permet d’aider des mères qui éprouvent quelques lacunes dans leurs responsabilités parentales ou qui sont tout simplement dépassées par la réalité de la détention.

À l’établissement de détention de Québec, les femmes incarcérées ne bénéficient malheureusement pas de programmes similaires.  Généralement, elles ont accès à une « visite contact » après trois visites sécuritaires (derrière une vitre).

Mais dans tous les cas, la visite contact demeure un privilège et non un droit.  Celle-ci peut être refusée à tout moment et ce ne sont pas toutes les détenues qui y ont accès.

Pour les hommes

La réalité est tout autre pour les hommes incarcérés, particulièrement dans les établissements provinciaux.  Le système correctionnel s’est peu adapté au rôle de père que plusieurs personnes incarcérées remplissent.  Plusieurs prisons n’offrent aucune visite de type contact entre les pères et leurs enfants, sous prétexte d’absence de locaux adaptés.  Certains « privilégiés » ont accès à des visites communautaires (plusieurs personnes dans le gymnase, par exemple), à une ou deux occasions par année.  Si cette visite permet certes un certain contact physique, elle ne laisse place à aucune intimité.

Maintenir les liens : une question éthique?

Faut-il tenter de maintenir le lien mère-enfant à tout prix lors de la détention de la mère? Les experts ne s’entendent pas sur la question.  Certains croient en effet que le maintien du lien perturbera l’enfant plutôt que de l’aider alors que d’autres pensent que ce lien se doit d’exister, même en détention, et est bénéfique pour la mère et pour l’enfant.

Au-delà des points de vue divergents, il est évident que, malgré les programmes et les organismes en place, être mère en prison est un défi de taille.  Une chose est certaine : la maternité et les responsabilités qui s’y rattachent sont des préoccupations réelles des mères incarcérées.  La majorité des femmes détenues sont jeunes (entre 24 et 30 ans) [3] et beaucoup d’entre elles ont des enfants de moins de 18 ans.  Cette réalité exige qu’on se penche sur les besoins de ces mères, mais aussi (et peut-être surtout) de ces enfants qui nomment très souvent ce besoin de conserver un lien significatif avec leur mère.

Être mère en prison, c’est possible, mais ce n’est assurément pas facile!

Complément

Pour en savoir davantage, nous vous invitons à lire la recherche menée par Myriam Labrecque, étudiante au Département de sociologie de l’Université Laval, pour le compte d’Alter Justice : Incarcération des femmes et parentalité

[1] L’établissement de Joliette est le seul pénitencier fédéral pour femmes au Québec.

[2] Service Correctionnel Canada, Programme pour les délinquantes, consulté le 24 septembre 2012

[3] Société Elizabeth Fry, Mères en prison

Sources :

BLANCHARD, Brigitte, « La situation des mères incarcérées et de leurs enfants au Québec », Criminologie, vol. 35, no 2, 2002, p. 91-112.

FOURNIER, Julie J., Les effets de l’incarcération sur le rôle de la mère, extrait du mémoire de maîtrise, Université d’Ottawa, 2001, pp.38 et 39.

LABRECQUE, Rachel, Étude sur le programme mère-enfant, Programme des femmes purgeant une peine fédérale, mars 1995.

ROBERTSON, Olivier, Parents en prison : les effets sur leurs enfants, série Femmes en prison et enfants de mères emprisonnées, Bureau Quaker auprès des Nations Unies, avril 2007, 56 pages

Alter Justice, Les parents incarcérés : visites et cohabitation, consulté le 24 septembre 2012

ASRSQ, Membres, consulté le 24 septembre 2012

Services correctionnels du Canada. Les problèmes de comportement des enfants dont les parents sont incarcérés, consulté le 24 septembre 2012

Société Elizabeth Fry, Mères en prison, consulté le 24 septembre 2012

Important : les renseignements fournis sont à titre d’information et ne peut être utilisé comme des textes ayant une valeur juridique.  Seuls les textes officiels des Lois et des Règlements ont force de loi.


Mise en ligne : septembre 2012 © Alter Justice

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