Rapport du Protecteur du citoyen 2023-24

Direction
Dernière mise à jour :
3 octobre 2024

Auteur : Daniel Poulin-Gallant, directeur chez Alter Justice et criminologue
Correction : Alexane Pronovost, intervenante chez Alter Justice et criminologue
Parution : Bulletin AJ, hiver 2024
Crédit image : Contaminazionivisive

« Ces dernières années, les plaintes au Protecteur du citoyen liées aux services correctionnels ont souvent ciblé la pénurie de personnel dans les établissements de détention. Des personnes incarcérées ont été victimes, par exemple, de périodes de confinement prolongées en cellule ou de suspensions des sorties dans la cour extérieure sans autre motif que le manque d’agents correctionnels. En 2023-2024, le manque aigu d’effectifs a continué d’être d’actualité » (Protecteur du citoyen, 2024).

Sur cette introduction assez claire, le rapport annuel du Protecteur du citoyen (ensuite appelé PdC) dénonce (encore) cette année des manquements dans les centres de détention du Québec dû au manque de personnel. Ce manque de personnel, rappelons-le, était central dans le rapport annuel 2022-23 du Protecteur du Citoyen (PdC, 2023). Nous avons dressé un portrait à ce sujet dans notre réaction dudit rapport en 2023 (Alter Justice, 2023).

Force est de constater qu’encore en 2024, le manque de personnel est criant et que les droits des personnes incarcérées sont atteints d’une façon ou d’une autre. On mentionne dans le rapport 2023-24 qu’en date du 31 mars 2024, le nombre de vacances dans les postes permanents a diminué de 2.12% – 12.6% à 10.48% (PdC, 2024).

Cette augmentation du nombre de postes comblés est encourageante, quoique marginale. On mentionne dans le rapport et dans plusieurs publications la création d’un centre de formation pour agent(e)s correctionnel(le)s (PdC, 2024; Radio-Canada, 2023). Cette initiative est très intéressante, notamment pour concentrer la formation des futur(e)s agent(e)s correctionnel(le)s et permettre de pourvoir les postes vacants. Nous resterons à l’affût de développement à ce sujet dans les années à venir.

Pour l’année 2023-24, le Protecteur du Citoyen a reçu plus de 50 000 appels, donc environ 13 350 pouvaient être traités selon les champs de compétence de l’organisation. De ces appels, 4 813 visaient un établissement correctionnel ou une instance du réseau (PdC, 2024). On parle donc d’environ 36% des motifs d’appel.

Cette proportion semble démesurée, quand on sait que le nombre de personnes incarcérées était de 28 592 en 2022-23 et que ce nombre ne représente même pas 1% de la population du Québec (8 956 000) (Statistique Canada, 2024). Il semble donc y avoir plusieurs problèmes dans les centres de détention.

Toutefois, en allant plus loin dans le rapport annuel, il est possible de voir comment se décortiquent les appels et leurs types. Le nombre d’appels total concernant les centres de détention reste très stable, avec une légère augmentation de 1.3%. Sur les motifs de plaintes, 46.17% des appels ont été réorientés; 28.78% ont été interrompus; et uniquement 9.64% ont été déclarés fondés (464 plaintes) (PdC, 2024). Nous sommes d’avis qu’un trop grand nombre de plaintes ont été redirigées ou interrompues. Encore une fois, nous questionnons à savoir si le Protecteur du Citoyen est bien en mesure de faire connaitre son rôle auprès des populations carcérales et des employé(e)s de ces milieux.

Autre fait saillant du rapport, on mentionne que des sorties de cour étaient systématiquement faites avec des contraintes (menottes, par exemple) alors que d’avis du Protecteur du Citoyen, cette situation ne permet pas de profiter pleinement de ladite sortie (PdC, 2024). Cette situation entre donc en contravention avec les lois correctionnelles.

Cette situation nous semble à la fois inquiétante et rassurante. Elle est inquiétante, puisque la sortie de cour est un droit prévu au Règlement d’application de la Loi sur le système correctionnel du Québec (Gouvernement du Québec, màj 2024). Elle est rassurante, parce qu’avec cette prise de position du Protecteur du Citoyen, on encadre la façon dont les personnes peuvent jouir de leur sortie dans la cour intérieure du centre de détention.

Toujours dans le sujet de la contention, il a été rapporté au Protecteur du Citoyen que des personnes incarcérées devaient être menottées lors d’une visiocomparution pour leur procès criminel. Selon le PdC, cette situation est absurde et ne sert à rien, puisque des mesures de sécurité sont déjà en place et que la sécurité des personnes autres que celle accusée est déjà assurée (PdC, 2024). Après avoir relancé à quelques occasions le Ministère de la Sécurité publique, celui-ci modifie enfin en novembre 2023 ses procédures à ce sujet.

Encore cette année, on mentionne dans le rapport annuel que la prévention du suicide ne semble pas une priorité pour les Services correctionnels du Québec (notre interprétation). En effet, le Protecteur du Citoyen demande :

  • D’établir un délai maximal de 24 heures d’attente pour l’application de la Grille d’estimation de la dangerosité d’un passage à l’acte suicidaire;
  • De définir, avec la collaboration du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), les rôles et les responsabilités du personnel soignant des établissements de détention dans la prise en charge et dans l’évaluation des personnes présentant un risque suicidaire (PdC, 2024).

Le Ministère répond qu’un plan d’action en commencé et qu’il sera en place dans les trois (3) prochaines années. Nous allons dans le même sens que le PdC que trois ans sont beaucoup trop longs. La prévention du suicide en détention est une priorité et n’est pas un phénomène nouveau. Caroline Pelletier (2012) mentionne déjà dans sa thèse de maitrise que le milieu correctionnel est un milieu suicidogène et que des efforts doivent être mis en prévention. Ça ne date donc pas d’hier. Qu’est-ce qui fait que les Services correctionnels ont tant de difficultés à mettre ce processus en place de façon uniforme? Par chance, des employé(e)s des Services correctionnels peuvent suivre une formation – optionnelle – sur la prévention du suicide.

Finalement, on rapporte dans le rapport annuel des difficultés pour les personnes incarcérées d’avoir accès à des vêtements de rechange (PdC, 2024). On mentionne même que ces retards peuvent être de plusieurs semaines! Imaginons cette situation : ne pas pouvoir se changer de sous-vêtements pendant plus de trois (3) jours. La plupart des personnes auront un mouvement de dégout. Il en va de même pour une personne incarcérée.

Selon les Services correctionnels, les délais sont causés par le manque de personnel pour procéder à la fouille des vêtements entrants, et qu’une accumulation se crée causant des délais supplémentaires. Rappelons que les délais raisonnables dans les directives sont de 48 heures (PdC, 2024). On peut parfois être bien loin de ces délais. À ce sujet, pourrait-il y avoir des quarts d’emploi différents qui s’occuperaient de cette tâche? Est-ce toujours aux agent(e)s correctionnel(le)s de faire toutes les vérifications?

Finalement, nous ramenons le sujet sur la table : les visites dans les centres de détention « programmées » aux quatre (4) ans sont beaucoup trop espacées. Ces visites devraient être faites de façon plus régulière et inattendue. Vous pouvez voir notre critique à ce sujet sur notre réaction de 2023.

Bref, le Protecteur du Citoyen dénonce encore une fois des situations qui existent depuis un moment déjà. Les Services correctionnels sont à la traine dans le traitement humain des personnes incarcérées et dans les directives à ce sujet. Toutefois, il n’est pas impossible de voir des améliorations et de comprendre que le travail de terrain est handicapé par le manque de personnel. Nous pouvons reconnaitre ces deux aspects, et féliciter les avancements effectués. Tout est question de nuance.

Par contre, Alter Justice continuera de porter un œil attentif sur les Services correctionnels. Ce qui est dénoncé par le PdC reste chose connue dans notre travail chez AJ. Nous avons que trop l’habitude d’entendre ces situations, et parfois même pire. Malheureusement, plusieurs personnes incarcérées nous rapportent ne pas vouloir porter plainte (à l’interne et au Protecteur) par peur de représailles d’employé(e)s des Services correctionnels. Cette situation n’est pas abordée par le PdC dans ses rapports. Il pourrait être intéressant pour l’organisation d’évaluer cette peur dans les prochaines années, non?

 


RÉFÉRENCES

Protecteur du citoyen (2024), Rapport annuel 2024, section Services correctionnels, repéré à : https://console.vpaper.ca/uploads/a6f5f7263f70594026e72350e2e80116/a4d5c2850b0471e28854d8aa89c8d212/pdf/rapport_annuel_2024.pdf

Protecteur du citoyen (2024), Rapport annuel 2023-2024 du Protecteur du citoyen – Communiqué no 4 – Établissements de détention : Des droits fondamentaux compromis, repéré à : https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/rapport-annuel-2023-2024-du-protecteur-du-citoyen-communique-no-4-etablissements-de-detention-des-droits-fondamentaux-compromis-58358

Protecteur du citoyen (2024), Rapport annuel 2024, section Commission Viens et Droits des personnes Autochtones, repéré à : https://console.vpaper.ca/uploads/a6f5f7263f70594026e72350e2e80116/a4d5c2850b0471e28854d8aa89c8d212/pdf/rapport_annuel_2024.pdf

Protecteur du citoyen (2023), Rapport annuel 2022-2023, section Services correctionnels, repéré à https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/enquetes/rapports-annuels/2022-2023

Poulin-Gallant, Daniel (2023), Rapport du Protecteur du citoyen 2022-23, site web d’Alter Justice, repéré à : https://alterjustice.org/rapport-pdc-2022-23/

Marceau, Pierre (2023), L’École nationale de police perd un important programme, ICI Mauricie-Centre-du-Québec de Radio-Canada, repéré à : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1988420/ecole-nationale-police-nicolet-perd-programme-agents-correctionnels

Ministère de la Sécurité publique du Québec (2024), Statistiques correctionnelles du Québec 2022-2023, Gouvernement du Québec, repéré à : https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/securite-publique/publications/statistiques-correctionnelles/statistiques-correctionnelles-quebec-2022-2023

Statistique Canada (2024), Estimations de la population, trimestrielles, Gouvernement du Canada, repéré à : https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1710000901

Gouvernement du Québec (màj 2024), Règlement d’application de la Loi sur le système correctionnel du Québec, Publications Québec, repéré à : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/s-40.1,%20r.%201

Pelletier, C. (2012). De la prévention à la postvention: étude exploratoire sur les suicides survenus entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2006 dans les prisons provinciales du Québec, repéré à : https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/409ebaa4-b98f-48e0-a576-72ca9c813ae3

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