Encore un rapport accablant

Direction
Dernière mise à jour :
4 avril 2022

Texte de Daniel Poulin-Gallant, directeur

Rapport de la Protectrice du citoyen 2020-2021

Le rapport annuel du Protecteur du citoyen (PdC) vient à peine d’être rendu public. Déjà, les observations faites par l’équipe d’Alter Justice se voient vérifiées : problèmes autant au niveau de la gestion de la pandémie que du respect des droits fondamentaux prévus à la Loi.

Marie Rinfret, Protectrice du citoyen (2021), dénonce la gestion de la crise de Covid-19 par l’appareil carcéral – et par la bande, le Ministère de la Sécurité publique du Québec – et les lacunes quant à la protection de la santé physique et mentale des personnes sous responsabilité carcérale.

Dans son rapport annuel, on mentionne que les trois principaux motifs de plaintes (70%) sont le non-respect des droits, les délais ainsi que l’environnement et milieu de vie (PdC, 2021). Autrement dit, les personnes incarcérées qui contactent le PdC se plaignent du non-respect de leurs droits prévus à la Loi, que des délais déraisonnables sont à prévoir pour les demandes de toutes natures et que le milieu de vie est problématique. L’équipe d’Alter Justice est capable de corroborer ces chiffres, puisque nous avons nous-mêmes aidé des personnes à propos de ces motifs.

Contexte de pandémie

Plusieurs personnes de différents centres de détention nous ont rapporté que les employé(e)s des Services correctionnels du Québec ne portaient pas adéquatement, ou pas du tout, le masque lors de leurs déplacements sur les lieux de travail. On nous rapporte aussi l’absence de sortie de cour et le passage en cellule plus de 23 heures sur 24 (Alter Justice et al., 2020 et 2021). Finalement, on nous mentionne à plusieurs occasions les visites virtuelles annulées sans raison valable, ou qu’elles se fassent menottées. Il est inacceptable dans une société de droits comme la nôtre de bafouer les droits des personnes, même si elles sont contrevenantes et en centre correctionnel.

La Protectrice du citoyen (2021) ajoute dans son rapport que les personnes nouvellement incarcérées doivent passer 14 jours en cellule d’isolement afin de protéger la population carcérale d’une potentielle infection. Même si cette directive est louable, son application reste problématique. En effet, il n’est souvent pas possible d’obtenir des vêtements de rechange pour ces deux semaines et encore moins de nettoyer ceux portés. Même si la durée de la gestion des effets personnels a diminué, une personne en prison peut encore attendre 11 jours avant d’avoir ses choses et ses vêtements. Ces délais sont trop longs.

De plus, le confinement en cellule plusieurs heures par jour, sans possibilité d’avoir des contacts significatifs avec d’autres êtres humains, est très difficile sur la santé mentale. En effet, nous avons rencontré à de nombreuses occasions des personnes incarcérées dont le niveau d’anxiété, de stress et de détresse était plus prévalents qu’à l’habituel. La plus grande source de stress dans ce contexte est la gestion jugée déficiente des centres de détention et la crainte pour sa santé physique (contamination à la Covid-19) (Alter Justice, 2021).

La part des choses

Nous tenons cependant à souligner les efforts de ne pas incarcérer plusieurs personnes afin de désengorger les centres de détention. Le décret de l’ex-ministre de la santé, Danielle McCann, a permis à quelques personnes de purger leur sentence hors des murs de la prison (Radio-Canada, 2020). Il s’agit, majoritairement, des sentences de fin de semaine, des femmes enceintes et des personnes dont la santé est trop fragile. Autant dire qu’une faible portion de la population carcérale a pu profiter de ces mesures. C’est mieux que rien, comme on dit, mais loin d’être suffisant.

Selon le rapport annuel du PdC (2021), la principale cause de la diminution de la population carcérale ne serait toutefois pas dû à cette directive…mais bien au ralentissement des tribunaux de juridiction criminelle! Comme quoi, la cause d’un évènement n’a pas toujours celle que l’on croyait.

Se plaindre de ses plaintes

Marie Rinfret (PdC, 2021) dénonce aussi les délais de traitement des plaintes et le fait que des copies des plaintes ne soient pas remises aux personnes incarcérées. C’est une situation qu’on nous a aussi rapportée chez Alter Justice. Une copie de la plainte permet à la personne incarcérée de prouver le dépôt de ladite plainte et de se tourner vers le Protecteur du citoyen en cas de problème dans son traitement.

Le fait de ne pas remettre cette copie empêche tout recours et, de facto, de prouver ses dires. Il s’agit selon nous d’une atteinte grave aux droits de porter plainte contre des situations d’abus. Les mécanismes de contrôle des institutions, tel que le PdC, existent justement pour mettre un frein aux dérapages potentiels.

Un fait qui nous est cependant rapporté qui n’a pas été soulevé par la Protectrice est la peur des personnes incarcérées face aux représailles suite à une plainte porté au PdC ou dans l’appareil carcéral. On nous mentionne souvent que « ça ne vaut pas la peine » de se plaindre face aux conséquences ou que des agent(e)s intimident les personnes incarcérées pour qu’elles retirent leurs plaintes (Alter Justice, 2021).

Un manque d’indépendance

Le processus de plainte manque d’indépendance, selon nous. Il semble y avoir un manque d’impartialité lorsque la personne qui reçoit une plainte est soit la personne visée par celle-ci, ou un(e) collègue de travail. Nous croyons en ce sens que les plaintes devraient toujours faire l’objet d’une évaluation par une entité externe à l’équipe d’employé(e)s.

Et qui sait, pourquoi pas un bureau pour un(e) employé(e) du PdC ou de groupe communautaire comme Alter Justice? L’équipe d’Alter Justice serait bien en mesure de prendre les plaintes et les diriger, au besoin. Après tout, c’est ce que nous faisons depuis plus de 40 ans!

On mentionne que plusieurs des problèmes rencontrés dans l’appareil carcéral proviennent du fait qu’il y a un manque cruel de personnel, autant des agent(e)s que du personnel médical (PdC, 2021; Alter Justice, 2020). Alter Justice ne peut réfuter cette réalité, puisqu’elle est présente dans toute la société québécoise. Le manque de ressources humaines mène à l’épuisement du personnel en place, ce qui n’aide en rien le respect des droits des personnes incarcérées. 

Constats

Au final, le rapport annuel de la Protectrice du citoyen (2021) met encore une fois en lumière les lacunes de la gestion des Services correctionnels du Québec. On y fait la démonstration que cette machine institutionnelle s’est adaptée encore trop tard aux réalités en cours et qu’elle peine à suivre le rythme des changements. On mentionne aussi qu’encore une fois, les droits des personnes incarcérées ne sont pas respectés. On note les manques de personnel dans les centres de détention et les délais dans le transfert de la responsabilité des soins de santé.

Et, encore une fois, nous demandons à ce que le Protecteur du citoyen ait plus qu’un pouvoir d’enquête et de recommandation dans la surveillance des appareils gouvernementaux. Nous revendiquons aussi un soutien financier adapté pour les organismes de défense des droits aux besoins des personnes incarcérées.

Nous arrivons au bout de nos ressources humaines et financières (Alter Justice, 2021). Nous croyons à notre mission et faisons tout en notre pouvoir pour y arriver. Force est d’admettre que nous ne pouvons pas faire tout ce que nous voulons avec nos maigres ressources. Nous sommes imaginatifs, mais cela a bien ses limites.

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Médiagraphie

Alter Justice (2020), Covid-19, [en ligne] url : https://alterjustice.org/covid-19/

Alter Justice (2020), Covid-19 : Mesures d’urgence sanitaire réclamées dans les établissements de détention, [en ligne] url : https://alterjustice.org/covid-19-mesures-durgence-sanitaire-reclamees-dans-les-etablissements-de-detention-2/

Alter Justice (2021), Rapport annuel 2020-21, [en ligne] url : https://alterjustice.org/wp-content/uploads/2021/07/2020-21-Alter-Justice-Rapport-annuel-compress.pdf

Protecteur du citoyen (2021), Rapport annuel – Services correctionnels, [en ligne] url : https://publications.virtualpaper.com/protecteur-citoyen/rapport_annuel_2021/#70/

Radio-Canada (2020), Des peines de prison discontinues à la maison, [en ligne] url : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1741940/maison-prison-peine-discontinue

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